Rencontre autour de la pièce Finist, le clair faucon de Svetlana Petriïtchouk.
Avec la participation d’Antoine Nicolle et Alexis Vadrot (traducteurs), Elena Gordienko (préfacière), Dominique Dolmieu (éditeur, l’Espace d’un instant), Vika Privalova (metteuse en scène), Fanny Galiana et Irina Zamula (comédiennes).
Cycle Observatoire du sensible (2023-2024) / UMR Eur’Orbem
L’invasion de l’Ukraine dans laquelle s’est engagée la Russie le 24 février 2022 suscite de nouvelles réflexions dans des champs de recherche variés, notamment de l’histoire, des sciences politiques, de la sociologie, des études mémorielles. Cette agression amène à s’interroger sur les processus profonds et durables qui ont pu mener à son acceptation et à son soutien au sein d’une partie importante de la population russe, ainsi qu’à la généralisation des crimes de guerre (assassinats de civils, usage du viol comme arme de guerre, pillages). À l’heure où nos regards sont rivés sur les champs de bataille et les exactions en tant que telles, émerge une réflexion sur le caractère systémique d’une violence qui ne se manifeste pas uniquement sur le terrain militaire, mais également de façon plus diffuse dans le discours public comme dans la sphère privée, notamment à l’encontre des femmes et des minorités. Pour nourrir cette réflexion, nous proposons d’examiner les traces que l’on peut percevoir de cette violence à travers les échos qu’elle suscite sous la plume des écrivaines et écrivains.
Cet « observatoire » est conçu dans un premier temps pour ouvrir un espace de dialogue à l’occasion d’un cycle de rencontres avec des autrices et auteurs contemporains invités à partager le regard qu’ils (elles) portent sur la société russe dans leurs textes. Au détour de ces rencontres, nous proposons ainsi d’explorer la littérature contemporaine pour y « prendre le pouls » de cette société, en sentir l’atmosphère particulière dans l’ère poutinienne des années de guerre et celles qui ont précédé. La littérature peut en effet permettre de saisir certains phénomènes et certaines évolutions de la société, à travers l’évocation parfois directe d’une violence décriminalisée et banalisée, comme à travers des « petits riens » (poustiaki) révélateurs : détails du quotidien, bribes de conversations entendues, comportements observés. Une place privilégiée sera accordée à la parole et au regard des femmes, notamment parce que les violences contre les femmes, qui préexistent et s’observent sur le long terme, font partie des stratégies de destruction dans cette guerre et semblent nourrir en Russie un arsenal symbolique et rhétorique réinvesti dans le discours public sur la guerre.
Les écrits des autrices et auteurs invités à ce cycle de rencontres permettront de constituer un corpus sur la base duquel un projet de recherche collectif est appelé à se construire dans un second temps.
Finist, le clair faucon raconte les parcours de femmes russophones qui ont été enrôlées par Daech via les réseaux sociaux sous prétexte d’une relation amoureuse et d’un mariage, ce qui les a poussées à vouloir quitter leur pays natal et à rejoindre les terroristes, avant d’être détenues et jugées en Russie. Cette pièce juxtapose la trame du conte traditionnel russe éponyme avec des témoignages documentaires, notamment des extraits de sténographies d’audiences de tribunaux, pour traiter de la psychologie des femmes qui, en quête d’amour et en raison des mythes sexistes stéréotypés du « prince charmant », deviennent des proies faciles pour les criminels.
Svetlana Petriïtchouk, née en 1980 à Bichkek (Kirghizistan), est une dramaturge russe, qui a notamment participé au laboratoire du Teatr.doc à Moscou. Ses textes, dans lesquels elle aborde constamment les questions de genre et les thématiques sociales, ont été largement mis en scène en Russie et distingués par différents festivals, dont Lioubimovka. Finist, le clair faucon a été créé en 2020 à Moscou, dans une mise en scène de Jénia Berkovitch, et a obtenu le Masque d’or, la plus prestigieuse distinction théâtrale en Russie, en 2022. En mai 2023, Svetlana Petriïtchouk et Jénia Berkovitch ont été accusées de faire l’« apologie du terrorisme » dans ce spectacle, et placées en détention. Depuis leur incarcération, la pièce a été traduite dans une dizaine de langues et présentée dans de nombreux théâtres à travers le monde, et notamment à Avignon, Barcelone, Berlin, Bruxelles, Paris, Stockholm et Tachkent.
En partenariat avec l’Europe sur un plateau / Maison d’Europe et d’Orient.