Description
Chers amis,
vous connaissez les éditions l’Espace d’un instant, dédiées aux littératures d’Europe et d’Orient.
Comme vous le savez peut-être, notre économie est extrêmement précaire, et nous sommes confrontés, pour certaines publications, à la difficulté de trouver des financements dans des délais compatibles avec l’urgence ou l’actualité de certains projets, notamment en lien avec les prochains festival d’Avignon et Sens interdits à Lyon.
La maison a donc décidé de proposer différentes opérations de mécénat pour chacun de ces projets.
Il s’agit de trouver 10 mécènes par livre, pour participer à leur financement, chacun à hauteur de 100 €, dont 66% seront déductibles de leurs impôts : un coût final réel de 33 euros.
En échange, ces mécènes auront leur nom dans les dernières pages du livre, et recevront un exemplaire dédicacé par l’autrice, accompagné d’un rescrit fiscal.
Cette opération vous permet à la fois de soutenir nos projets et d’orienter votre contribution aux finances publiques vers les initiatives qui vous semblent pertinentes !
D’avance, merci à vous !
La Langue de mon père, de Sultan Ulutaş Alopé
(Paris, 2022)
préface de Timour Muhidine
en partenariat avec le festival Sens interdits
Une langue peut-elle être un gilet de sauvetage ? Déterrer les mots de ses ancêtres peut-il éclairer des rapports à sa famille et à son identité ? Comment le racisme quotidien sème la honte et la violence chez les individus ?
La Langue de mon père est l’histoire d’une femme récemment immigrée en France. Tandis qu’elle attend ses papiers, l’apprentissage de la langue maternelle de son père, le kurde, la fait voyager vers des zones d’ombre de son passé. En apprenant cette langue longtemps interdite dans son pays natal, elle commence à interroger son rapport à son père qu’elle n’a pas vu depuis des années et le racisme quotidien avec lequel elle s’est construite en tant qu’enfant. Pendant ce voyage mental entre la Turquie et la France, elle porte le français comme une protection, une langue que personne d’autre dans sa famille ne parle ni ne comprend; une langue qu’elle ne maitrise pas totalement.
Sultan Ulutaş Alopé, née en 1988 à Istanbul, est une comédienne d’origine turque et kurde. Après des études d’ingénierie puis en art dramatique à Istanbul, elle multiplie les expériences dans de nombreuses productions en Turquie. A partir de 2017, elle étudie à l’ENS de Lyon puis au CNSAD de Paris, sous la direction d’Olivier Neveux, Anne Pellois et Nada Strancar. Elle mène désormais ses propres projets. La Langue de mon père, présenté à Contre-sens à Lyon en 2022, puis créé à la Manufacture à Avignon en 2023, est programmé au Théâtre national de Strasbourg en 2024.
Extrait
Ne dis pas que nous sommes Kurdes
Aujourd’hui, on sort avec ma mère faire nos achats pour l’école.
En Turquie, « D’où tu viens ? », c’est la deuxième question après « Comment tu t’appelles ? ».
Sortir quelque part avec ma mère est toujours un peu risqué. Elle croit qu’elle est devenue kurde par le mariage, alors qu’elle vient d’une région totalement différente. Elle est fière d’avoir trois petites filles kurdes qui ont deux ans de différence entre chacune. Nous ne comprenons pas cette fierté. Elle n’a toujours pas compris pourquoi il faut cacher qu’on est kurde. En plus, en voyant que cela nous embarrasse, elle insiste encore plus sur ce fait. Cela n’est pas pour nous torturer mais parce que cette honte est insensée pour elle. Elle pense que parler publiquement de sa honte aide à la dépasser et que non, cela ne cause pas une honte plus grande et qu’on ne se sent pas comme une merde quand on parle de cette chose devant des gens qu’on ne connait pas.
« Maman, si on nous demande d’où on vient dans un magasin, tu dis que nous sommes nées à Istanbul. C’est tout, ok ? Tu promets ? » Elle promet.
Dans le premier magasin : « Quelles jolies petites filles ! On dirait qu’elles ont le même âge ! Alors, vous venez d’où? » Avant la réponse de ma mère, en une fraction de seconde, ma grande soeur réussit à lui souffler pour lui rappeler notre accord : « Ne dis pas que nous sommes kurdes. »
Malheureusement, elle n’arrive pas à adapter le volume de sa voix. C’est comme si elle avait soufflé dans l’oreille de tout le monde dans le magasin.
Ne dis pas que nous sommes kurdes…
Un moment de silence. Nous avons maintenant beaucoup plus honte d’avoir essayé de le cacher, que d’être kurde.
Maman coupe joyeusement le silence et presque en criant, au cas où il y a quelqu’un qui ne l’a pas encore entendu dans le quartier : « Mais pourquoi ça vous embarrasse d’être kurde ? Cela n’a pas de sens ! Nous sommes kurdes ! Ce sont des filles kurdes ! Nous sommes KURDES ! KURDES ! KURDES ! »
Tu n’es pas kurde maman. Ce n’est pas toi qui porte le poids de cette race qui ne sert à rien sauf à être exclu. Tu ne peux pas te taire ? Pourquoi tu te comptes en plus des Kurdes ? Tu n’es pas kurde. Tu ne l’as jamais été. Tu t’es juste mariée avec l’un d’eux qui t’a laissée toute seule avec trois gamines. Maintenant prends ta peau bien plus claire que la nôtre et laisse-nous tranquille.