Description
Chers amis,
vous connaissez les éditions l’Espace d’un instant, dédiées aux littératures d’Europe et d’Orient.
Comme vous le savez peut-être, notre économie est extrêmement précaire, et nous sommes confrontés, pour certaines publications, à la difficulté de trouver des financements dans des délais compatibles avec l’urgence ou l’actualité de certains projets, notamment en lien avec les prochains festival d’Avignon et Sens interdits à Lyon.
La maison a donc décidé de proposer différentes opérations de mécénat pour chacun de ces projets.
Il s’agit de trouver 10 mécènes par livre, pour participer à leur financement, chacun à hauteur de 100 €, dont 66% seront déductibles de leurs impôts : un coût final réel de 33 euros.
En échange, ces mécènes auront leur nom dans les dernières pages du livre, et recevront un exemplaire dédicacé par l’autrice, accompagné d’un rescrit fiscal.
Cette opération vous permet à la fois de soutenir nos projets et d’orienter votre contribution aux finances publiques vers les initiatives qui vous semblent pertinentes !
D’avance, merci à vous !
Quelques histoires de pluies d’amour et de mort, d’Abbas Nalbandian
(Téhéran, 1977)
traduit du persan par Fahimeh Najmi et François Rémond
préface de Joseph Danan
Quelques histoires des pluies d’amour et de mort présente cinq récits qui interrogent les relations humaines en présentant une galerie de personnages solitaires livrés à eux-mêmes. Une mère et sa fille sont forcées de camoufler une mort accidentelle, un maître d’école est confronté aux révélations ambiguës d’un élève, et le fantôme d’une mère refuse de s’en aller. Abbas Nalbandian livre une série de scénettes impressionnistes du monde iranien, où l’individu est en proie aux angoisses de la condition humaine, entre l’oppression d’une société autoritaire et les questionnements métaphysique sur la raison et la folie, la vie et la mort.
Abbas Nalbandian est né en 1947 à Téhéran. Il s’est formé à la littérature en autodidacte dans le kiosque à journaux de son père, en lisant tout ce qui lui tombait sous la main. La légende dit qu’il écrivit sa première pièce avant même d’avoir été au théâtre. Présent au Festival d’Art de Shiraz en 1968, puis au festival de Nancy en 1973, il incarne le visage du théâtre iranien moderne. Avec la révolution islamique, il se voit contraint de cesser toute activité et se donne la mort en 1989.
Extrait
Premier épisode
Le noir pleut, la mort
Une chambre avec les effets simples de pauvre gens. Une grosse radio vieillotte. Une commode en bois. Un vieux tapis par terre. À jardin, un matelas à même le sol avec une couette. Quelques oreillers. Quelques babioles dans une niche. Une porte, à cour. Une lampe allumée pend du plafond. Sous la couette, la forme d’un corps humain.
La mère et la fille, sont debout côte à côte, à cour.
La fille est décoiffée et sa tenue est en désordre.
La fille — Mort ?
La mère — Ouais.
La fille — Non.
La mère, moqueuse — Si !
La fille — Mon Dieu !
La mère — Regarde pas !
La fille — Non !
La mère — Crie pas !
La fille — J’ai peur.
Elle s’éloigne de la mère.
La mère — Du calme !
La fille — Ses yeux sont grand ouverts.
La mère — Pousse-toi.
La fille — Il n’est pas mort ! Ses yeux –
La mère — Tais-toi !
La fille — Au secours !
Elle se met à courir. La mère court vers la fille.
La mère — Ferme-la !
La fille se cogne contre le mur.
La fille — Qu’est-ce qui s’est passé ?
La mère — Ne me fais pas peur !
La fille — Il ne bouge pas, maman !
La mère — Il est mort !
La fille — Son visage !
La mère — Tu me fais peur !
La fille — Appelons quelqu’un.
La mère — Pour qu’on soit déshonorées ?
La fille — Pourquoi ?
La mère — Tu crois qu’ils ne vont pas demander ce qu’il fait dans notre lit ?
La fille — Quoi ?
La mère — Ils vont peut-être dire qu’on l’a tué.
La fille — Dans notre lit ?
La mère — Dans ton lit.
La fille — Ouais.
La mère — Comment c’est arrivé ?
La fille — Il dormait à côté de moi.
La mère — Et puis ?
La fille se met à pleurer.
Et puis ?
La fille pleure.
Il avait fini ?
La fille pleure.
Alors, il est encore nu.
La fille pleure.
On devrait lui enfiler son pantalon.
La fille — Peut-être qu’il est encore vivant.
La mère — Non.
La fille — Peut-être qu’il fait un malaise, peut-être qu’il fait une syncope.
La mère — Comment ça ?
La fille — Il est tombé sur moi d’un coup, et j’ai vu qu’il bougeait pas.
La mère — Faut qu’on fasse attention.
La fille — D’abord, j’ai pas compris.
La mère — Qu’est-ce que tu as fait ?
La fille — J’ai pris peur.
La mère — Alors t’as crié ?
La fille — J’ai eu peur. J’ai crié et tu es venue. Je l’ai jeté de l’autre côté et je suis sortie du lit.
La mère — Ma pauvre tête !
La fille — Faut appeler un flic.
La mère — On dirait qu’il y a un bruit dehors.
La fille — Peut-être que les voisins se sont réveillés ?
La mère — Viens enfilons-lui son pantalon.
La fille — Viens, sauvons-nous, Maman !
La fille va sous la couette près de l’homme. Elle tire la couette sur eux deux. La mère s’assoit jambes croisées par terre, face au public.
Ne me fais pas mal !
L’homme — Laisse-moi voir.
La fille — Ne me serre pas autant !
L’homme — Ferme-la !
La fille — Comme t’es lourd !
L’homme — Ouais.
La fille — Pourquoi t’as dit que je t’avais frappé la tête à coups de pierre ?
L’homme — Quand est-ce que je l’ai dit ?
La fille — Sale menteur !
Un temps.
Pourquoi t’as menti ?
L’homme — Attends ! Attends !
La fille — Tu savais que c’était pas moi.
Un temps.
Quand est-ce que je me débarrasserai de toi ?
L’homme — Nous nous sommes tout dit.
La fille — Ta tronche me dégoûte.
L’homme — Pas de souci.
La fille — Retire ta main !
L’homme — Laisse-moi faire.
La fille — Connard.
L’homme — T’as pas honte ?
La fille — Alors, qu’est-ce que t’attends ?
Un temps.
Dépêche-toi, j’ai le souffle coupé !
Un temps.
Pourquoi tu bouges pas ?
Soudain la fille crie. Elle repousse l’homme de côté. En détresse, elle saute hors de la couette et se réfugie dans un coin, apeurée. La mère se lève, va vers la radio et l’allume.
Voix de la première femme — Prends l’autre pied ! Tire-le vers l’avant !
Voix de la seconde femme — Et s’il se retrouve coincé dans le puits ?
Voix de la première femme — C’est large ; il tombera au fond.
Voix de la seconde femme — J’ai peur qu’ils l’apprennent.
Voix de la première femme — On l’a ramené jusqu’ici, est-ce qu’ils l’ont appris ?
Voix de la seconde femme — Peut-être qu’ils vont nous tomber dessus.
Voix de la première femme — Du nerf ! Attrape ! Jette-le !
Le bruit d’un objet lourd qui tombe. La mère éteint la radio.